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La bière, une histoire de femmes

Ceci n’est pas un article féministe.

Temps de lecture estimé : 5 minutes 

Malgré ce que Jupiler a voulu me faire croire toute ma vie, il n’y a pas que « les hommes » qui « savent pourquoi ».

 
(C’est bien connu, y a que des mecs qui se lèvent tôt le week-end pour aller faire du sport dans la boue et boire des bières… Oh wait.)

Il ne faut pas chercher longtemps pour se rendre compte que les femmes n’ont jamais été associées de manière positive à la bière. Testez une recherche auprès de notre ami Google pour voir… Merci à notre chère société patriarcale qui véhicule les stéréotypes. (Non, c’est pas parce que je suis une fille que j’aime la Grisette ou la Hoegaarden Rosée. File-moi une TK !) Heureusement, il y a des femmes qui aujourd’hui vont à l’encontre des préjugés et s’investissent de la production à la dégustation. Et rétablissent un fait d’histoire : la bière est étroitement liée à la femme. D’ailleurs, les premiers brasseurs étaient des femmes. BIM ! Révélations !

Un peu d’histoire

En résumé, la bière est apparue en Mésopotamie, environ 15.000 ans av. J.-C., avec la sédentarisation et la culture domestique des céréales, et notamment de l’orge et de l’épeautre. Certains parlent de « maladresse », d’autres de « découverte », mais un jour on mélangea de l’orge malté (à l’époque, le maltage permettait de favoriser la conservation des grains) avec de l’eau chaude, donnant une boisson sucrée très nutritive. Une chose en amenant une autre, l’idée de mélanger l’orge à l’eau, pour le rendre notamment plus digestible, se développa. La « bière » se popularisa alors dans les civilisations anciennes, au point d’occuper une place centrale dans leur culture. Je mets le terme entre parenthèses car, à cette époque, il s’agissait plutôt de galettes à base d’épeautre et d’orge (connues sous le nom de sikaru), que l’on trempait dans de l’eau et que l’on assaisonnait avec des épices ou de la cannelle, du miel.

La sacralisation de la femme

D’après les textes retrouvés, nous pouvons parler de sacralisation des femmes dans le domaine brassicole ancien dans différentes civilisations. En effet, par exemple, vers 3.000 av. J.-C., les Sumériens, première grande civilisation de l’ancien Moyen Orient et grands amateurs de bière, désignaient la bière par le mot Kaš (ce qui signifie littéralement « ce que la bouche désire« ) et vénéraient une déesse de la bière, Ninkasi. Les femmes endossaient également la profession de brasseur et étaient rémunérées pour cela. (Ils étaient avancés pour leur époque, les Sumériens, non ?)

Du côté de l’Egypte ancienne, le Sikaru était considérée comme une boisson céleste, placée sous la protection de la déesse Nin-bi. C’est encore une fois une femme, la Pa-E-Bi, qui brassait officiellement et jouissait donc d’importants privilèges de par cette position sacrée, dans une société de plus en plus dominée par les hommes.

Dans la mythologie, un élément important ressort de la littérature, des poèmes et des fables : la salive.(Attention, âmes sensibles s’abstenir.) On peut y lire notamment que c’est « la Femme » qui découvre l’utilité de la salive dans le processus de fermentation de la bière (grâce à l’enzyme pytalin qui s’y retrouve). Jusqu’à ce moment-là, il était question de mastiquer les grains d’orge avant de les utiliser dans le brassin, afin d’enclencher le processus de transformation de l’amidon en sucres. Alors que finalement, cracher directement dans la marmite pendant le brassage, c’est plus fun ! (Moment fraîcheur terminé.) Trêve de plaisanteries, ce savoir bien gardé était transmis qu’entre initiées, de mères en filles. (Who run the world?)

Des rituels liés à la puissance mystique de la salive se retrouvent beaucoup dans la mythologie scandinave, celtique et même du côté occidental de l’Atlantique, chez les Jivaros de l’Équateur. Le point commun dans toutes ces histoire : il est considéré que la salives de jeunes femmes vierges permettent de brasser une meilleure bière.

De divinités à persécutées

Je ne sais pas vous, mais bizarrement, en lisant toute cette littérature, le terme « salive », « bave » qui se retrouve dans ces rituels me fait directement penser à des actes de magie ou de sorcellerie (qui était évidemment perpétrés par des femmes). Rajoutez à cela la christianisation de l’Europe, qui provoque le déplacement d’une partie de la production de bières vers les abbayes et monastères,… Il n’y a pas de coïncidence. Je ne peux qu’imaginer à présent le nombre de professions qui ont été considérées/décrétées comme étant de la sorcellerie, et la manière dont les femmes ont été écartées de positions sacrées et éminentes dans la société.

Loin de moi l’idée de vous écrire une étude sociologie sur ce sujet, d’autres le font très très bien 😉 Et puis, rien ne sert de spéculer, je n’y changerai rien. Mais si vous avez envie de lire des articles sur le sujet, je vous propose d’aller consulter le blog I am the Brewmaster! (en anglais donc) qui a proposé une chronique sympathique sur la place des femmes dans le monde brassicole, passant du statut de déesses à celui de sorcières.

Quand les hommes débarquent

La professionnalisation du brassage et l’apparition d’une industrie de production de masse au 18ème siècle provoquèrent l’intérêt de la gente masculine. Et au même moment (bizarre bizarre) sont apparues les superstitions selon lesquels la présence d’une femme dans une brasserie portait malheur. (Remarque : elles sont restées populaires jusque dans les années 80.) BAM ! Manipulation ! Résultat : Les femmes sont écartées de la fabrication de la bière pendant des centaines d’années.

Et la Craft Beer sauva la femme

Les Etats-Unis, terre d’espoir, virent arriver la montée de la craft beer dans les années 90 (comprenez « bière artisanale »). Il n’était plus alors anormal de brasser sa propre bière dans sa cuisine et de fonder sa pico-brasserie pour qui que ce soit, même en tant que femme. Et la tendance est doucement arrivée jusqu’en Europe, où l’on retrouve de plus en plus de femmes comme cheffes d’entreprise, et notamment de brasseries !

Les mentalités commencent donc à véritablement changer, surtout ces dernières années, même si je me retrouve encore seule à des cours de brassage ou que le serveur se trompe en déposant automatiquement la bière en face de mon homme… On y arrivera un jour ! En attendant, Mesdames, faites-moi plaisir : goûtez, testez, dégustez… Et appréciez !

 

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